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«Dans plusieurs années, les spectateurs de “Game of Thrones” seront satisfaits de la fin»

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Par Jon Reafan, le 12/11/2019

L'épisode final de Game of Thrones s'est achevé avec un Tyrion Lannister poussant les seigneurs de Westeros à prendre la décision la plus conséquente de toute la série. Est-ce la bonne? Tyrion n'en est pas certain lui-même: «Redemandez-le moi dans dix ans.» Dix ans, c'est précisément le temps qui s'est écoulé depuis la diffusion de l'épisode final d'une série de genre très appréciée, dont la conclusion avait révolté certain·es de ses fans les plus passionné·es. Quelques mois plus tard, le magazine i09, de Gizmodo, se demandait carrément si la fin de Battlestar Galactica n'était pas la pire de toute l'histoire de la science-fiction. Avec le temps, la fin de Battlestar Galactica a fini par être mieux acceptée, mais elle reste sujette à controverse. Qu'est-ce que cela fait de travailler des années sur un projet et d'écrire une fin qui pousse les gens à demander votre tête? Nous avons demandé à Ronald D. Moore, producteur de Battlestar Galactica et scénariste de la fin tant décriée, comment il se sent dix ans plus tard et s'il aurait des conseils à donner à David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones, pour les aider à affronter la tempête. PUBLICITÉ À LIRE AUSSI «Game of Thrones», saison 8, épisode 6: «Le Trône de fer», récap et analyse Entretien avec Ronald D. Moore Sam Adams: David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de la série Game of Thrones, avaient affirmé que le jour de la diffusion de l'épisode final, ils prévoyaient d'être «complètement ivres et très loin d'internet». Où étiez-vous lors de la diffusion du dernier épisode de Battlestar Galactica? Ronald D. Moore: Je crois que j'étais tout simplement chez moi. Je veux dire, à l'époque où l'épisode final de Battlestar a été diffusé, Twitter existait sans doute déjà, mais, dans mon souvenir, ça n'avait pas l'importance que ça a aujourd'hui. On commençait tout juste à parler des réseaux sociaux. J'allais donc plutôt voir les sites de fans et les blogs, juste pour me faire une idée de la réaction du public. J'ai écrit les épisodes finaux de trois séries, puisque j'avais déjà écrit celui de Star Trek: La nouvelle génération et que j'avais participé à celui de Deep Space Nine (j'étais parmi les scénaristes). «On n'organise pas de vote pour savoir ce que veulent ou pensent les fans» C'était à chaque fois des expériences très différentes en ce qui concerne les réactions et la participation du public, et même par rapport aux moments où l'on recevait les retours sur les épisodes. Pour Battlestar, cela a été la première fois que j'ai pu suivre les réactions des gens plus ou moins en temps réel. Ce n'était pas comme avec Twitter, où l'on a ces réactions quasiment en direct, minute par minute, mais on pouvait commencer à voir les spectateurs répondre dans l'heure ou la demi-heure. Les gens profitaient de la pause publicitaire pour aller poster des commentaires sur des forums ici et là. Battlestar Galactica n'a donc pas été votre rodéo d'essai. Vous retenez encore votre respiration avant de découvrir ce que pensent les gens? Vous ressentez quoi dans ces moments-là? Oui, c'est un peu ça. On reste là et on attend de voir ce que les spectateurs disent. On ouvre le rideau, on montre ce que l'on a à montrer et on espère qu'ils vont applaudir, qu'ils vont rire aux bons moments, pleurer quand on veut qu'ils pleurent, etc. C'est comme un soir d'ouverture. On attend de voir ce qui va se passer. J'ai regardé tous les épisodes de Battlestar rapidement à la suite, peu de temps après la fin de la série. Je n'avais rien lu dessus avant d'avoir fini. Aussi, ce ne fut qu'après avoir vu l'épisode final (que j'avais bien aimé) que j'ai découvert sur internet à quel point il avait rendu furieuses certaines personnes. Vous vous attendiez à une réaction aussi forte? Un peu, oui. Nous suivions ce qui se disait en général au sujet de la série sur différents forums et sites de fans. Dès le début, il y avait eu une controverse au sein de la communauté des fans. Un groupe détestait le fait même qu'il s'agisse d'une série dérivée de l'originale et n'embarqua jamais vraiment dans notre histoire. C'était donc plus ou moins prévu d'avance. J'ai toujours estimé que cela doit rester tant que possible en dehors du bureau des scénaristes. Je l'ai dit plusieurs fois: «Ce n'est pas une démocratie.» On n'organise pas de vote pour savoir ce que veulent ou pensent les fans. Mais en commençant la dernière saison, nous étions pleinement conscients que certaines personnes allaient l'adorer et que d'autres allaient la détester. Il suffisait de décider de n'en avoir rien à faire. Nous faisions de notre mieux et c'était tout ce qu'on nous demandait: essayer de servir du mieux possible les personnages et apporter une conclusion à l'histoire d'une manière que nous estimions satisfaisante. Quand vous avez commencé à voir que les réactions allaient dans les deux sens, avez-vous été surpris par leur véhémence? Oui, j'ai été un peu surpris par la véhémence générale. J'étais moi-même fan de Star Trek avant de travailler dessus. Cela faisait donc longtemps que je connaissais cet univers. Il y a toujours eu un côté mauvaise langue dans les cercles de fans. C'est propre aux vrais croyants. Il y a toujours certains fans qui, quoi que l'on fasse, se disent: «Je sais mieux que les créateurs de la série!» «Lorsque l'histoire s'écarte de leurs fantasmes, ils peuvent le prendre de manière très personnelle et passionnée» Mais on espère toujours que les choses aillent au mieux, donc, quand l'épisode final sort, on a envie que tout le monde l'aime. Même si la partie rationnelle de votre cerveau se dit «Bon, ça ne va pas plaire à tout le monde», ça fait toujours mal de s'apercevoir que c'est vraiment le cas et qu'ils sont très en colère. C'est difficile de ne pas le ressentir. Mais, vous savez, quand je regarde l'épisode, je me dis que, moi, je l'adore, qu'il est très bon. Et tant pis s'ils ne l'aiment pas. Y a-t-il quelque chose de particulier à la fiction de genre pour provoquer des réactions si extrêmes chez les fans? L'un des premiers commentaires que j'ai pu lire en cherchant des réactions en ligne était un billet de blog qui qualifiait le dernier épisode de Battlestar de «pire fin de l'histoire de la science-fiction à l'écran». À ce niveau, c'est presque un compliment. Oui, on est numéro 1! Je ne sais pas si c'est spécifique au public des fictions de genre. En revanche, on peut peut-être dire que c'est dans la fiction de genre qu'il y a le plus de fans hardcore et c'est peut-être de là que ça vient. Je ne sais pas comment sont les fans de New York, police judiciaire ou de NCIS. Je suis certain qu'il y en a, mais pour les fictions de genre, c'est sûr que c'est quelque chose que les personnes prennent très à cœur, avec beaucoup de passion et de manière très personnelle. Il suffit d'aller dans les salons et les rassemblements de fans pour voir que les gens sont vraiment fans de tous ces personnages. Et ils le prennent de manière très personnelle, ils se voient dedans. Ils projettent dessus leurs propres fantasmes, leurs envies, et lorsque l'histoire s'en écarte pour les mener dans des endroits qui ne leur conviennent pas, ils peuvent le prendre de manière très, très personnelle et très passionnée. Chez les fans, il y a certaines personnes qui expriment leur passion par la haine. Quand je travaillais sur Star Trek, je me souviens être allé en ligne un jour, au tout début, genre période AOL, et il y avait un fan qui avait écrit une critique à propos de l'un des épisodes que j'avais scénarisés. Ça commençait par «J'ai regardé cet épisode trois fois et c'était pire à chaque fois». Je me suis dit OK! Tu es totalement fan, tu adores ça, mais tu as besoin de l'exprimer avec cette espèce de rage anxieuse. Et c'est ça aussi d'être fan –«Je déteste Star Wars, je le sais, je les ai tous vus douze fois!» C'est juste une psychologie un peu particulière et sans doute une manière d'exprimer sa dévotion.